samedi 31 juillet 2010

Petite pause

Je sens un peu de relâchement après de si intenses exposé scientifique sur la microfaune des mares. Aussi voila une petit pause pour vous divertir et vous reposer de tant d'efforts intellectuel.

Il s'agit, vous vous en rendrez compte, d'une de ces photo incompréhensible qu'il va vous falloir décrypter. Encore une fois j'espère que vous aurez de l'imagination. Ce dont je ne doute pas d'ailleurs.



Alors, qu'est-ce ?
Ce coup là il y a deux photos. Peut être que cela va vous aider.
Dans tous les cas je vous souhaite bonne chance.

vendredi 2 juillet 2010

Les Dents de la mare, épisode 4 : L'Abeille d'eau

Jusqu'ici, mes articles se sont limités aux Coléoptères aquatiques. Ce ne sont pourtant pas les seuls insectes à être retournés vivre dans l'eau, après un long passé terrestre. L'autre groupe important d'insectes maresques est l'ordre des Punaises. Assez bien représenté dans nos mares de campagne, il offre toute une palette de prédateurs redoutables qui n'ont rien à envier aux Dytiques.
La Notonecte glauque (Notonecta glauca) est de ceux-là.



Un beau jour de ma tendre enfance, notre moniteur CPN avait emmené mon club pêcher dans une grande mare forestière ombragée. Après quelques coups d'épuisettes timides, j'avais acquis le coup de main et plongeais maintenant sans hésitation ma main au fond de mon filet boueux (en rêvant secrètement de ramener une bestiole mutante). Vous devinez la suite ? Je tombe sur un petit insecte blanchâtre que je pose avec insouciance sur le dos de ma main pour l'examiner de plus près, et je ressent aussitôt une vive douleur comparable à une brûlure.
J'appris plus tard que la Notonecte était anciennement surnommée "abeille d'eau"...


On voit ici la taille de la bestiole en question. Rien de bien impressionnant, pas de grosse carapace luisante comme l'hydrophile, pas de forme aberrante comme la larve du dytique, mais tout de même un rostre affuté, tout près à châtier le petit naturaliste imprudent.

La notonecte est une snob. Au lieu de nager comme tout un chacun, c'est à dire plus ou moins élégamment sur le ventre, celle-ci a décidé de se retourner, se plaçant sur le dos. Collée à la surface par en dessous, elle peut aisément respirer, harponner les pauvres insectes naufragés pour s'en faire un petit quatre-heure et repérer l'épuisette sournoise brandie par un entomologiste machiavélique. La première photo représentait donc la face ventrale de l'animal.
Ce petit exposé sur la technique natatoire de la Notonecte avais pour but de vous informer mais aussi de vous faire apprécier pleinement le cliché qui va suivre. Mesdames et messieurs, voici maintenant en exclusivité la photo d'une notonecte vue de dos.



Cette photo, exceptionnelle rappelons-le, nous montre bien les belles couleurs de cette punaise aquatique. La carapace acajou est surmontée d'un triangle noir du plus bel effet. On remarque également la grande différence de taille entre les deux pattes arrière (servant à la nage) et les deux autre paires (servant à attraper des choses, proies ou support).

La notonecte est un des insecte aquatique les plus facile à observer. Il est très courant, occupant chaque petit point d'eau, voire certaines flaques temporaire. La bête peut en effet s'envoler (surtout la nuit) et aller chercher ailleurs si les têtards n'y serait pas plus vert.
Que ma mésaventure ne vous empêche pas d'aller admirer cette bestiole dans son milieu naturel, quelques précautions (parmi lesquelles des gants en kevlar ignifugés et une pince à cornichon grand modèle) suffisent à s'éviter la pénible vérification des capacités urticantes de la charmante bestiole.

Et prochainement, ne ratez pas : Les Dents de la mere, épisode 5 : De pinces et de rostres...

Les Dents de la mare, épisode 3 : Evolutions convergentes

Dysticus marginalis n'est pas un cas unique : il existe de nombreuses autres espèces de coléoptères aquatiques que l'on peut retrouver dans les mares.
La famille des Dysticidés comporte notament, outre les différentes espèces du genre Dysticus qui ressemblent toutes au Dytique marginé et ne sont pas toujours très faciles à différencier, un genre qui sort un peu du lot, au stade larvaire comme au stade adulte : Acillius sulcatus.


Deux spécimens d'Acillius : un mâle (en haut) et un femelle (en bas).

Proche parent du Dytique marginé, il partage ses diverses adaptations à la vie aquatique dont nous avons parlé dans l'épisode précédent (pattes frangées de poils, bulle d'air renouvelable, hydrodynamisme). C'est lui aussi un féroce prédateur, qui préfère néanmoins généralement s'attaquer à de plus petites proies que son gros cousin en raison de sa moindre taille (jusqu'à 2 cm). Le mâle et la femelle se distinguent par leurs élytres : ceux du mâle semblent lisses et glabres alors que ceux de la femelle sont creusés de profonds sillons couverts de poils jaunâtres.


Larve d'Acillius. Notez la petite tête tachetée au bout du long prothorax si caractéristique.

La larve est quand à elle diffère encore plus du Dytique marginé : rappelez-vous l'effrayant monstre qu'était sa larve, avec sa grosse tête et ses crochets démesurés... Rien à voir à première vue avec la larve d'Acillius, étrange animal que l'on est d'abord tenté de classer aux côtés de la Crevette grise tant son gros abdomen dodu et sa petite tête insignifiante l'éloigne de la carrure musclée de la larve de Dysticus. Cette larve unique en son genre ne figure pas dans le guide de Michael Chinery (en réalité, c'est peut-être pour ça qu'elle semble sortir de l'ordinaire...). Heureusement, elle est impossible à confondre et grâce à cet article vous pourrez la reconnaître du premier coup d'oeil, si vous tombez dessus à l'occasion (on ne sait jamais). Toutefois, le comportement des deux larves est assez semblable dans les grandes lignes. La larve d'Acillius se nourrit de la même façon que la larve de Dysticus (... avec ses tout petits crochets !) et respire à l'aide du même procédé (tube digestif qui fait office de tuba).



L'Hydrophile.

Les Dysticidés ne monopolisent cependant pas l'espace aquatique des coléoptères. Sans parler des familles plus discrètes et des petits gyrins, on peut s'attarder sur un dernier coléoptère, dont Pierre Déom disait, dans son numéro "spécial mares" de La Hulotte, que si les Dytiques étaient les "tigres de la mare" ce serait lui un "éléphant d'eau douce". Effectivement, ce gros insecte que l'on appelle Hydrophile (Hydrophilus piceus) est le plus gros coléoptère aquatique d'Europe (5 cm et plus !). Contrairement aux Dytiques, redoutables carnassiers, l'Hydrophile est un paisible végétarien qui se nourrit exclusivement de végétaux aquatiques (à considérer donc comme une parenthèse dans notre saga, consacrée avant tout aux prédateurs). C'est également un piètre nageur, mais de toutes façons il n'a pas de proies à poursuivre, et sa ressemblance avec une feuille de potamot (il en a à la fois la couleur, la forme et la taile !) suffit souvent à le camoufler aux yeux des prédateurs. Il est tout de même en régression dans une grande partie de la France, car très sensible à la pollution.




On distingue ici les réserves d'air de l'Hydrophile, qu'il stocke sous son thorax tout comme les Dytiques.

Si il ressemble à première vue à un gros dytique, l'Hydrophile et ses voisins carnivores n'ont aucun lien de parenté : à la manière des Dysticidés qui descendent des Carabiques (ou plutôt qui ont un ancêtre commun avec les Carabiques modernes), l'Hydrophile descederait d'un tout autre groupe de coléoptères, les Scaraboidés (Hannetons, Cétoines et consorts), connus pour être essentiellement de paisibles herbivores, comme les Carabes sont connus pour être des carnassiers notoires. La ressemblance extérieure entre un dytique et un hydrophile s'explique par une convergence évolutive : les deux lignées ont sélectionné les mêmes adaptations à la vie aquatique aux mêmes contraintes liées à cet environnement.
L'Hydrophile, sans être finalement directement concerné par le sujet de la saga, est finalement un si bon exemple d'évolution convergente avec les Dytiques qu'il aurait été dommage de passer à côté.

Et prochainement, ne ratez pas : Les Dents de la mare, Episode 4 : L'Abeille d'eau...

jeudi 1 juillet 2010

Les Dents de la mare, épisode 2 : Des tigres en apnée

L'histoire de la larve de Dytique ne s'arrête pas à son mode d'alimentation, si fascinant soit-il. Sa croissance achevée (au bout de quelques mois), la larve s'enterre dans une des berges boueuses de sa mare. Quelques semaines plus tard, elle ressort de ce terrier, mais sous une toute autre forme : la larve s'est muée en insecte adulte ("imago" dans le jargon entomologique), un magnifique coléoptère de 3,5 cm de long, avec de beaux élytres noirs bordés de jaune. Voilà le Dytique.


Mâle de l'espèce la plus commune et dont il est question ici : Dysticus marginalis

Le Dytique est un coléoptère aquatique. Carnassier notoire, il n'est pas moins redouté des autres bestioles aquatiques que sa larve. Comme elle, il s'attaque à tout ce qui nage ou presque, des larves de moucherons aux petits tritons en passant par les divers gastéropodes, têtards, larves en tout genres et autres vers de vase qui constituent son régime alimentaire.
Malgré cet apétit féroce, le mode d'alimentation de l'imago est moins subtil qu'il ne l'était à l'état larvaire : il se "contente" de croquer ses proies avec ses grosses mandibules, sans rien dissoudre avant que les aliments n'arrivent dans le tube digestif.
En réalité, ce n'est pas tant sa célèbre voracité que son mode de respiration qui est intéressant à observer et sera donc détaillé ici.


Femelle reconnaissable à ses élytres striés.

Comme chacun le sait, les Insectes sont dépourvus de poumons. Dans un environnement aérien, ils absorbent l'oxygène de l'air par des trachéoles qui s'ouvrent comme des petits trous dans l'abdomen. Pas de poumons, donc a priori pas d'apnée pour notre coléoptère aquatique, car aucun organe pour emmagasiner de l'air, comme le ferait une baleine ou un crocodile. Si l'apnée semble impossible, on est en droit de penser que la divinité, dans sa grande sagesse, a prévu d'équiper sa création de branchies pour absorber directement l'oxygène dissout dans l'eau. Erreur ! En réalité, le Dytique descend d'une familles de coléoptères exclusivement terrestres, les Carabiques (dont on a déjà parlé dans un article antérieur, qui remonte ni plus ni moins qu'aux lointaines origines mystiques du blog). Les Carabiques étant terrestres, leurs larves ont abandonné toutes traces de branchies depuis belle lurette (contrairement, par exemple, aux Libellules, groupe beaucoup plus ancien avec des larves aquatiques). Quand certains d'entre eux retournèrent vivre dans l'eau pour devenir des Dytiques, il était malheureusement trop tard pour retrouver des branchies, car l'évolution ne peut pas revenir en arrière. La larve et l'adulte ont donc recours à deux procédés différents pour emmagasiner de l'air et ainsi respirer sous l'eau, faute de poumons et de branchies.


Véritable fauve en miniature, notre tigre invertébré s'attaque ici à une limnée, sorte d'escargot aquatique végétarien.

La larve utilise son anus : pour prendre de l'air, elle fait émerger le bout de son abdomen qui aspire un peu d'air et le stocke dans le bout du tube digestif, un peu comme un tuba amélioré. C'est pourquoi la larve a toujours cette attitude cambrée caractéristique, avec son abdomen redressé comme un cobra.
Le stratagème de l'adulte, il faut le reconnaître, est encore plus élaboré : il stocke l'air absorbé à la surface sous son thorax, et le précieux mélange gazeux forme ainsi une bulle argentée sous la carapace du dytique, où il peut puiser de l'oxygène à volonté jusqu'à épuisement de la bulle comme Lucas le fait avec ses bouteilles de plongée.



Femelle en train de refaire le plein.

Sa combinaison de plongée est complétée par une paire de palmes robustes qui est en fait sa troisième paire de pattes, que ses ancêtres les Carabes utilisaient pour marcher, prolongée de longs poils raides. Enfin, on peut noter l'élégance de l'hydrodinamisme qui fait de lui un nageur si rapide ; son corps tout entier est un ovale parfait, à tel point qu'on croirait que les trois segments n'en font qu'un.
Le Dytique est donc un merveilleux exemple d'animal terrestre retourné vivre sous l'eau à la libération d'anciennes niches écologiques, comme les Ichtyosaures le firent au Mésozoïque et les Cétacés au Cénozoïque (pardonnez l'audace de la comparaison entre ces Léviathans préhistoriques et notre petit insecte local, mais c'est bien le même principe).

Les Dents de la mare, épisode 1 : Le Vampire

La petite mare du Massif de Lorris, parcelle 510, a l'air bien paisible en surface, en cette fin de printemps 2010. Alors que les grenouilles coassent, que les jeunes balbuzards piallent pour recevoir leur ration de poisson et que les bousiers bourdonnent gaiement de bouse en bouse, le vol ombrageux d'un circaète annonce déjà l'apparition surnaturelle à laquelle votre photographe va bientôt être confronté...
En effet, sous la surface de l'eau, une créature vicieuse l'observe...
Au premier coup d'épuisette, le jeune naturaliste, inconscient du danger, ne devine encore rien de la menace qui pèse sur lui, ni de la terrifiante perversion de la nature qu'il a ramené dans ses filets...
Il pose l'épuisette à terre, et fouille le contenu vaseux de sa main à la recherche de quelque prise glorieuse, allégorisée en têtard monstre ou triton bidécimétrique visqueux. Soudain, sa main heurte un corps dur. Il n'a pas la texture caoutchouteuse d'un amphibien mollement arraché à sa caverne aquatique boueuse. Non, c'est autre chose...
Une chose avec des pattes qui gigotent, un abdomen qui se tortille, et des mandibules qui... Aah !


A deux, c'est plus convivial

Vous l'avez deviné, l'odieuse créature qui boulotta avec si peu de courtoisie l'index de votre honorable serviteur n'est autre que Sa Gracieuse Monstruosité, Siroteur de têtards, Annihilateur en chef de la Jeunesse Batracienne, j'ai nommé : Dytiscus marginalis junior, la larve de Dytique.



La larve n'hésite pas à s'attaquer à plus gros qu'elle. Cette larve de salamandre apprit à ses dépens que courage et gloutonnerie font bon ménage au fond de la mare.

Une armure de chitine montée sur un châssis de cobra et deux crochets aigus comme des aiguilles lui confère un look de grosse crevette démoniaque. Mais cet insecte infernal vit avec un terrible paradoxe : il est dépourvu... de bouche. Ou plutôt, celle-ci est réduit à un imperceptible orifice incapable d'engloutir la moindre proie, ce qui renforce encore le supplice de ce terrible prédateur par nature, apparemment condamné à regarder passer les têtards sans pouvoir s'en emparer. Mais, c'était sans compter sur la cruelle ingéniosité de la Nature. L'évolution, tout en amincissant la bouche de la larve, la dota en contrepartie d'une arme si redoutable, si meurtrière qu'aucun superlatif ne saurait rendre l'effroi qu'elle provoque, à sa simple apparition, sur les malheureux têtards. Cette arme, c'est sa paire de crochets venimeux, instrument de mort et de torture sauvage et sans pitié.



Clac ! clac !

Quand la larve a repéré sa proie, elle se jette aussitôt sur elle en quelques coups de pattes poilues. Et c'est là que les crochets entrent en action : se sont en réalité des mandibules creux et percés à leur extrémité comme des seringues de tortionnaire nazi. Le têtard, percé de part en part par les crocs de son bourreau, est d'abord immobilisé par un premier venin, une puissante neurotoxine qui paralyse tous ses réflexes. Puis les perverses seringues inoculent un second poison, encore plus vicieux, des sucs digestifs foudroyants qui dissolvent les chairs du pauvre batracien de l'intérieur. Vous l'avez compris, la larve entreprend une véritable digestion externe. Une fois les organes réduits en une bouillie acidulée du plus cool effet gore, elle n'a plus qu'à aspirer les fluides de sa proie (un peu comme dans La Momie, mais en plus visqueux) et l'organisme larvaire peut enfin assimiler ce qu'une bouche trop étroite avait été inapte à recevoir.Quant au malheureux têtard, son enveloppe de peau est vite abandonnée au fond de l'eau, dégonflée comme une vessie creuvée, à la merci des charognards.



Portrait.

La larve de Dytique n'est pas le seul arthropode à donner la mort par vampirisation. Loin de là ! De nombreux autres insectes le font aussi, comme les Punaises carnivores (où les crochets venimeux sont remplacés par une espèce d'"appareil suceur"), et mêmes d'autres arthropodes, notament les Araignées. Loin d'être une "perversion de la nature", "un monstre horrible engendré par une évolution vicieuse", "une créature cruelle et diabolique qui torture ses proies", la larve du Dytique est en réalité un insecte comme les autres, qui mérite plus que jamais, à une époque où l'on préfère souvent combler les mares que les entretenir, d'être considéré à sa juste valeur : un petit bijou évolutif, sans lequel nos mares ne seraient pas ce qu'elles sont.

Et prochainement, ne ratez pas : Les Dents de la mare, Episode 2 : Des tigres en apnée...