samedi 31 décembre 2011

Les Chroniques de l'estran, Episode 8 : Marée basse dans les rochers (3/3)

Vu les merveilles que l'ont vient d'observer dans les flaques de l'estran rocheux depuis la surface, on peut se demander quelles surprises nous réservent ses abysses. Pour le savoir, enfilons nos scaphandres et descendons au fond de la cuvette...


Crabe vert raclant une patelle

Bienvenue dans le royaume du Crabe vert ! Carcinus maenas règne en maître au fond de son cloaque putride, il dévore tout ce qui passe à sa portée ! La grosse Patelle peut bien se cramponner à son rocher, rien ne résiste à la pince du monstre caparaçonné...


Il y en a toujours un pour manger l'autre...

... pas même ses propres congénères !


Dorris verrucosa

Heureusement que la belle Doris verrucosa est là pour apporter un peu de poésie à ce monde de brutes...
Cette limace de mer de 5 à 7 cm de long se nourrit d'éponges ; elle arbore à son extrémité postérieure un magnifique panache de tentacules sur lesquels sont disposés les branchies.
Tous les individus que j'ai observés à Pénestin étaient jaune d'or voire orange, mais il en existe aussi de plus ternes : blancs, gris, parfois avec des bandes latérales sombres.


Doris au fond d'une grotte, à marée basse

La Doris verruqueuse craint la déshydratation. Sitôt émergée, elle court se réfugier dans une anfractuosité sombre et humide d'où elle ne sortira pas avant le retour de la mer.


Gobie varié (Pomatoschistus pictus)

Pour finir, voici le poisson typique des flaques de l'estran : le Gobie. Une poignée d'espèces assez ressemblantes peuvent se retrouver dans les cuvettes. Ici, je penche pour un gobie varié (Pomatoschistus pictus).

La semaine prochaine, ne manquez pas le dernier épisode des Chroniques de l'estran : Les Pinces de l'estran...

lundi 26 décembre 2011

Les Chroniques de l'estran, Episode 7 : Marée basse dans les rochers (2/3)

Le relief de l'estran rocheux a de quoi donner du fil à retordre aux sandales les mieux attachées. C'est un véritable continent en miniature, avec ses pics, ses cols, ses plateaux, ses gorges et même ses lacs, des cuvettes taillées par l'érosion que la mer vient remplir à marée haute et qui, à marée basse, constituent autant d'aquariums naturels où les explorateurs les plus courageux pourront voir évoluer les monstres marins qui s'y sont laissés piéger.


Cuvette sur la plage de Loscolo

Ces mares salées abritent en effet un grand nombre de gastéropodes, bivalves, poissons et crustacés divers, mais aussi quelques organismes dont l'anatomie nous est moins familière, telles les fameuses anémones de mer...


"Tomate de mer", tous tentacules dehors !

On en rencontre plusieurs espèces dans les flaques salées ; la plus commune de toutes est Actinia equina. Elle se présente sous la forme d'un polype, dont la couleur varie du brun au rouge vif, fixé par un pied cylindrique de 5 cm de diamètre, avec une petite bouche-anus au sommet, ornée d'une couronne de 200 tentacules urticants (indolores pour l'Homme) qui y rabattent les crustacés et les petits poissons dont elle se nourrit, avant d'en rejeter les restes par le même orifice.
Typique de l'estran, le gluant animal se complaît dans ce milieu changeant, capable de rétracter à volonté ses tentacules pour les préserver de la dessiccation lorsqu'elle se retrouve émergée, à marée basse. Elle prend alors l'aspect d'un gros bubon rougeâtre posé sur les rochers, d'où son surnom, très inspiré, de "tomate de mer" ou "anémone tomate".


Anémone de mer verte

Contrairement à la "tomate de mer", l'Anémone de mer verte (Anemonia viridis) est incapable de rétracter ses tentacules ; les cuvettes d'eau sont donc bien les seuls endroits où l'on peut en observer sur l'estran. C'est fort dommage, car c'est de loin la plus belle de toutes les anémones de mer, avec sa longue chevelure verte aux pointes violettes !
Les anémones de mer appartiennent à l'embranchement des Cnidaires, comme les méduses et les coraux, mais en cherchant bien, on peut dénicher dans ces flaques des animaux à l'ascendance encore plus étonnante...


Ascidies japonaises trouvées au fond d'une cuvette

... comme l'ascidie Styela clava, l'Ascidie japonaise (ou Ascidie plissée).
Je ne saurais mieux vous décrire cet animal qu'en le comparant à une sorte de "coeur" pompant, recrachant, brassant de l'eau de mer pour en extraire dioxygène et nutriments. Une "poche" vivante trouée de deux syphons, enveloppée dans une "tunique" de cellulose (!) qui a donné son nom au sous-embranchement des Tuniciers auquel appartiennent les Ascidies, dont la biologie est si bizarre que je ne me riquerais pas à en faire un compte-rendu, lequel serait trop bref, trop imparfait, trop inexact pour en apprécier la complexité. Consultez plutôt les cours en ligne de Mer et littoral à ce sujet, qui sont très bien faits.
On peut en revanche signaler que ces animaux nous semblent d'autant plus étranges que l'étude de leurs larves les range dans l'embranchement des Cordés, aux même titre que les Vertébrés !
On rencontre de nombreuses espèces d'ascidies, solitaires ou en colonies, au large de nos côtes. Comme son nom l'indique, l'Ascidie japonaise est cependant originaire de l'est du Pacifique et aurait été introduite accidentellement dans les années 1950 par des bâtiments de guerre occidentaux de retour de Corée, sur la coque desquels elle a dû se fixer.


Portrait de crevette

Plus familières, les crevettes du genre Palaemon sont très communes dans les flaques, si bien qu'il est difficile d'y jeter un coup d'épuisette sans en ramasser une pleine poignée ! On en distingue une demi-douzaine d'espèces, qui se ressemblent toutes. Ici, je ne sais pas trop de laquelle il s'agit... y a-t-il un expert dans la salle ?

A la semaine prochaine pour de nouvelles chroniques de l'estran !

jeudi 22 décembre 2011

Intermède

Pourquoi les champignons sont ils très musclés ?

Parce qu'ils font beaucoup de spores.

Quelle meilleure amorce qu'une boutade désopilante pour lancer un sujet ? Vous l'aurez deviné, cet intermède aura pour thème les champignons. Quittons donc quelques instants le lointain littoral breton pour nous enfoncer paisiblement entre les bras grand ouverts des arbres de chez nous. C'est là, dans l'ombre humide des cathédrales ligneuses, que l'on pourra découvrir les milles et une formes et couleur de ces organismes étonnants.
Autant vous le dire tout de suite, je suis un néophyte en ce qui concerne l'identification des champignons. A part quelques grands classiques culinaires, la plupart d'entre eux m'est inconnu, je ne pourrais donc pas vous révéler leur nom.
Mais après tout, nul besoin de nomenclature pour admirer. Alors admirons !


Honnêtement, qui d'entre vous aurait pu avoir l'idée d'une être pareil ? Comment l'évolution a-t-elle pu donner naissance à une chose pareil, si étonnante, si incongrue, posée là sur la mousse de la forêt telle une étoile de mer perdue et racornie. Et pourtant, ce "truc" est bien cousin avec l'amanite tue-mouche ou la morille. Quelle famille !
En fait de famille, les champignons forme non moins qu'un règne, au même titre que les animaux ou les plantes. Au couple bien connu "Faune-Flore" peut donc s'ajouter la "Fonge", beaucoup moins connue. Ce que l'on désigne par le mot "champignon" est nommé scientifiquement par le terme "mycète". Ainsi ne dites plus "Je vais chercher des champignons." mais plutôt "Je vais en prospection mycète.". Cela aura le double avantage de vous faire passer pour un savant et de garder secret vos coins à champicètes (à moins que ce ne soit des mygnons).


Quand un seul champignon contient toute la forêt.

Finissons comme nous avons commencé, avec une bonne blague.

Un homme va voir son docteur. Celui-ci lui demande :
"Où avez-vous attrapé vos mycoses ?
- Désolé docteur, un vrai amateur ne révèle pas ses coins à champignons."

samedi 3 décembre 2011

Les Chroniques de l'estran, Episode 6 : Marée basse dans les rochers (1/3)

Après avoir goûté aux charmes morbides des laisses de mer, intéressons-nous à l'estran rocheux.
Aux yeux des estivants les plus douillets, l'endroit apparaît pour le moins inhospitalier, comme un désert de pierre tapissé d'huîtres coupantes et d'algues glissantes. Il n'en est pas moins grouillant de vie. Mais pas de vie telle qu'on la connaît à l'intérieur des terres : non, je vous parle d'une vie horrible, gluante, tentaculaire, une vie telle que l'on n'en rencontre qu'au fond des mers, et que l'estran ne daigne révéler qu'à marée basse. Alors, profitons du recul des eaux pour explorer ce territoire étrange et incroyable, et découvrir les bêtes immondes qui hantent ses abîmes...


L'estran rocheux de la plage de Loscolo

Ces dernières sont bien malmenées par le flux et le reflux de l'Atlantique ; quotidiennement noyées par l'océan, séchées par le soleil et salées par les embruns, elles n'ont souvent le choix qu'entre se cramponner vigoureusement aux rochers ou se cacher au fond d'une crevasse humide. A ce jeu, les coquillages sont sans doute les plus forts : patelles, pholades, moules, littorines, troques, bigorneaux et crépidules pullulent aussi bien sur que dans la roche. Cependant, quelques photos ne suffiraient pas à donner un aperçu satisfaisant de leur prolifération ostentatoire, aussi va-t-on se contenter, pour cette fois, d'animaux plus discrets et plus originaux.


Ligia oceanica en maraude (2-3 cm). En Méditerranée, cette espèce est remplacée par Ligia italica, très semblable.

Commençons par la zone la plus haute de l'estran, celle qui n'est submergée qu'à l'occasion des grandes marées. C'est le domaine de la petite Ligie (Ligia oceanica). Elle passe y passe le plus clair de son temps abritée dans les fentes rocailleuses pour éviter la déshydratation, mais sort de sa cachette à marée basse pour arpenter l'estran en quête de nourriture - animaux et végétaux en décomposition. Si l'on excepte les longs uropodes qui prolongent l'arrière de son corps, on la prendrait volontiers pour un cloporte ; et pour cause, elle appartient comme eux à l'ordre des Isopodes, petits crustacés aplatis à sept paires de pattes et aux yeux sessiles (sans pédoncules).


Les colonies de balanes qui recouvrent l'estran rocheux finissent par former une sorte de revêtement antidérapant naturel.

Mais laissons les ligies tranquilles et descendons quelques mètres plus bas : on constate que les rochers se couvrent aussitôt de colonies entières de balanes. De loin, leur forme conique évoque celle de petites patelles. Il n'en est rien : ce sont des crustacés appartenant à la sous-classe des Cirripèdes, qui vivent fixés sur à la roche et ne s'entrouvrent qu'à marée haute, quand les vagues viennent lécher leurs minuscules carapaces, pour filtrer l'eau ruisselante et en extraire le plancton dont ils se nourrissent. Il en existe de nombreuses espèces ; celles observables sur l'estran, dont la taille varie entre 5 mm et 2 cm, se répartissent principalement entre les genres Balanus et Chthamalus. Plus petites, les balanes du genre Amphibalanus se fixent également sur les coquillages, mais il faut être un expert pour arriver à toutes les différencier !


Anatife (5 cm) accroché à une caisse en bois

Mais au fait, pourquoi Cirripède ? Le mot vient bien sûr du latin : cirrus signifiant "mèche de cheveux" et pes, pedis "pied". Un pied à mèche ? L'étymologie prend tout son sens lorsque l'on regarde un cousin des balanes, l'Anatife (Lepas anatifera), un cirripède qui se fixe, non pas aux rochers, mais aux débris flottants : on voit alors effectivement un pied, le pédoncule (dont les balanes sont effectivement dépourvues), fixé au support, armé de plaques qui laissent dépasser des appendices en forme de mèche appelés cirres : ce sont d'anciennes pattes modifiées et couvertes de soies qui filtrent l'eau.


Alvéoles d'hermelles

Un autre filtreur vit encore plus bas : l'Hermelle (Sabellaria alveolata). On détecte facilement la présence de ce minuscule ver de quelques centimètres de long aux structures en nid d'abeilles que produisent ses colonies : des récifs constitués de tubes de grains de sables agglutinés pouvant atteindre 30 cm de haut. Les hermelles vivent dans les alvéoles de ces récifs ; elles se cachent au fond à marée basse et font dépasser le haut de leur corps, armé de tentacules, à marée haute pour capturer le plancton dont elles se nourrissent.
A Pénestin, ces récifs sont souvent abîmés par les ramasseurs d'huîtres si bien que leur taille n'est jamais très imposante. Néanmoins, il en existe de vraiment colossaux à la Baie du Mont Saint Michel où ils sont protégés. On peut en voir des photos sur le site de DORIS.

A suivre...