vendredi 24 juin 2011

Moro-sphinx

Connaissez-vous le château de Talcy ? Ce bel ouvrage du seizième siècle, situé au coeur de la Beauce, abrite notamment le rosier dont parle Ronsard dans son fameux poème "Mignonne, allons voir si la rose, qui ce matin avait éclose...".


Moro-sphinx butinant le chèvrefeuille du château de Talcy (Loir-et-Cher)

Mais c'est en fait son chèvrefeuille, ou plutôt les insectes qu'il attire, qui nous intéresse ici. Les distinguez-vous au milieu des fleurs ? Ces deux jolis papillons sont des moro-sphinx.


Moro-sphinx de profil

Le Moro-sphinx : diurne, de la taille d'un taon, ce butineur n'a que peu de choses en commun avec les géants nocturnes de la famille comme le Sphinx du Liseron ou le Sphinx tête-de-mort, si ce ne sont ses ailes triangulaires, velues et vigoureuses qui lui permettent de butiner en vol stationnaire (comme les colibris !) et de filer à 50 km/h dès qu'il a vidé sa fleur.
Et voici son nom savant : Macroglossum stellatarum. Si vous avez lu le dernier article sur l'Orchis bouc - juste au-dessous de celui-ci - vous aurez sans doute reconnu dans le suffixe "-glossum" le mot grec glotta qui signifie "langue". Quant au préfixe "macro-", il est issu de l'adjectif makros qui veut dire "long". Le nom de genre signifie donc "longue langue", et on comprend pourquoi (!) :



Moro-sphinx de dos

Comme vous pouvez le constater, sa langue est en effet aussi longue que le reste de son corps ! Elle lui permet d'aller chercher le nectar tout au fond de la fleur sans se poser dessus, ce qui serait une perte de temps.
Les moro-sphinx du château de Talcy sont ici pour se reproduire ; l'accouplement aboutira à une petite chenille verte avec une corne au bout de l'abdomen. En réalité originaires du sud de la France où ils retournerons passer l'hiver d'ici quelques mois, s'ils ne tentent pas une hibernation hasardeuse, ce sont des migrateurs qui survivent rarement au verglas à de telles latitudes. Mais peut-être le changement climatique va-t-il changer la donne...

Et si vous voulez en savoir plus sur ce petit papillon, je vous invite à consultez le numéro 86 de La Hulotte : "Le Sphinx colibri".

dimanche 19 juin 2011

Orchis bouc

Il arrive que l'on fasse des rencontres auxquelles on ne s'attend pas. Comme cette monstrueuse fleur cornue, au détour d'un sentier, un jour de mai particulièrement lumineux.



Orchis bouc (Beaugency, Loiret)

Du haut de ses quarante bons centimètres, l'orchidée domine les chardons qui l'entourent. Elle exhale une méphitique odeur de musc... une odeur de bouc ! d'où son nom : l'Orchis bouc (Himantoglossum hircinum).


Des fleurs en forme de tire-bouchons...

Ses couleurs sont plus discrètes, mais tout aussi malsaines, que son odeur : vert hématome, blanc fièvre et pourpre infection évoquent à eux seuls les pires maladies... On peine d'ailleurs à la qualifier de "vivace" comme les autres orchidées.


Détail de la fleur

Elle n'a pourtant rien de maléfique, cette plante !
Avec ses sépales rabattus en forme de casque d'Hadès et son labelle - pétale du bas - d'abord trifide comme le trident de Poséidon, puis torsadé comme la corne d'une licorne, et enfin fourchu comme la langue d'un dragon, ce végétal mythologique n'est pas dur à identifier.
C'est d'ailleurs au grec qu'elle doit son nom (certes latinisé pour les besoins de la nomenclature) : Himantoglossum vient en effet de glotta, la langue, et himas, la lanière, et signifie donc "langue en lanière", en référence, vous l'aurez compris, à son curieux labelle.
Paresseuse, cette horrible merveille ne fleurit que de mai à juillet. Hâtez-vous de l'admirer !

mardi 14 juin 2011

Les pies-grièches écorcheurs sont arrivées !

Cela fait à peine quinze jours que les pies-grièches écorcheurs sont rentrées d'Afrique, avec un peu de retard il est vrai. Alors, à vos jumelles, vous avez jusqu'à la rentrée pour observer ces oiseaux hors du commun !


Pie-grièche écorcheur mâle (Ingrannes, Loiret)

Mais au fait, savez-vous au moins les reconnaître ? Voici le mâle : avec son bec crochu comme celui d'un aigle, son masque de Zorro, sa calotte gris bleuté, son dos roux et son ventre blanc, de la taille d'une alouette, il est impossible de le confondre. La femelle est bien sûr plus terne : la tête est grise et le ventre maculé de barres transversales brunâtres.


Jeune pie-grièche écorcheur (Bled, Slovénie)            Bousier empalé (Ingrannes, Loiret)

Emblématique de nos campagnes, la Pie-grièche écorcheur (Lanius collurio) est remarquable par son alimentation, unique chez les Passereaux : c'est un carnivore, un véritable rapace de poche qui, malgré sa petite taille, consomme fréquemment lézards et petits rongeurs, même si le gros de son alimentation est constitué d'insectes.
Après la capture, le mâle a coutume - comme son nom l'indique - d'embrocher ses victimes encore vivantes sur les buissons épineux ou les barbelés avec le soin méticuleux d'un entomologue. Dans quel but ? On lit souvent que c'est pour se constituer des réserves alimentaires ; or, la plupart du temps, les proies empalées ne sont pas mangées mais laissées sur place. Il semblerait qu'en réalité ces "lardoirs" servent aux mâles à démontrer leurs talents de chasseurs aux femelles (et ainsi s'attirer leurs faveurs), lesquelles n'embrochent en effet pratiquement jamais leurs captures (d'après La Vie secrète de la Nature en France, volume 7, éditions Atlas).


Pies-grièches écorcheurs mâles (Ingrannes, Loiret)

Après l'accouplement, la femelle pond une demi-douzaine d'oeufs dans un buisson épineux qu'elle couve pendant deux semaines. Les jeunes sont indépendants à l'âge d'un mois et demi et entament leur migration dès le début de l'automne. Mais au lieu de passer par le détroit de Gibraltar comme la plupart des migrateurs, les pies-grièches écorcheurs empruntent le détroit du Bosphore et se dirigent plutôt vers l'Afrique de l'est.


Au dessus : pie-grièche écorcheur mâle
Et en dessous : pie-grièche à tête rousse mâle
(Ingrannes, Loiret)

On trouve trois autres espèces de pie-grièches en France, la plus commune deumeurant l'écorcheur : la Pie-grièche à tête rousse (Lanius senator) la Pie-grièche grise (Lanius excubitor) et la Pie-grièche à poitrine rose (Lanius minor). Elles aussi font des lardoirs ; la grise, un peu plus grande que les autres, est sédentaire.

Et pour finir en beauté sur cet oiseau pour le moins original, voici une petite galerie de mes plus beaux lardoirs :

 


De droite à gauche, de haut en bas :
Bousier (Ingrannes, Loiret)
Bousier (Ingrannes, Loiret)
Ecaille martre (Ingrannes, Loiret)
Chenille de livrée (Ingrannes, Loiret)
Mulot (Dienne, Cantal)
Bousier (Ingrannes, Loiret)

dimanche 5 juin 2011

Une charogne

A tous les lycéens de Première ! La bac de français est proche, et c'est pourquoi je vous invite sans plus tarder à réviser Baudelaire à qui l'on doit ce si beau poème, illustré par mes plus belles photos de cadavres.


Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.


Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;
 
Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.

 

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en petillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

 

Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rhytmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.

 

Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un oeil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.

Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !


Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !