vendredi 27 janvier 2012

Les Chroniques de l'estran, Episode 10 : Les Pinces de l'estran (2/2)


Crabe marbré mort de 5 cm d'envergure trouvé dans la laisse de mer

Plus petit que le Crabe vert, le Crabe marbré Pachygrapsus marmoratus est facilement reconnaissable à sa carapace carrée et à sa coloration originale : blanc intégralement recouvert de marbrures violettes voire rouges. Il est en revanche beaucoup moins facile à dénicher que le précédent ; typique de l'estran, ce crabe tout plat vit dans les rochers où sa mince épaisseur lui permet de se cacher dans les plus petites failles. Comme le Crabe vert, il se nourrit principalement de coquillages qu'il ouvre avec ses pinces.


Carapace d'araignée de mer de belle taille (15 cm de long) trouvée dans la laisse de mer

Un nain comparé à l'Araignée de mer Maja brachydactyla, dont la seule carapace hérissée de piquants peut atteindre jusqu'à 20 ou 25 cm de long selon les sources, avec des pattes de 45 cm de long !
Comme les "vrais" crabes, elle appartient au sous-ordre des Brachyoures, caractérisé par un abdomen replié sous la carapace et donc invisible depuis le dessus (contrairement à un homard ou une crevette, par exemple), et possède deux pinces avec lesquelles elle attrape et décortique sa nourriture : échinodermes, mollusques, autres crustacés, charognes, bref tout ce qui se ramasse au fond de la mer.


Carcasses d'araignées de mer échouées sur l'estran

Car celle-là non plus vous ne l'apercevrez pas sur l'estran, elle reste sous l'eau cachée dans les algues en permanence, si bien que les seules traces d'elle que la marée découvre sont ses restes désarticulés.
Ainsi ces chroniques de l'estran s'achèvent comme elles ont commencé : sur la vision d'un corps en putréfaction que n'aurait certainement pas reniée Baudelaire.

lundi 23 janvier 2012

Les Chroniques de l'estran, Episode 9 : Les Pinces de l'estran (1/2)

On trouve plusieurs espèces de crabes sur l'estran, dont la plus connue est sans doute l'énorme et barlong Tourteau qui peut atteindre les trente centimètres de large ; je ne l'ai malheureusement pas encore rencontré à Pénestin, aussi va-t-on devoir se contenter d'espèces moins imposantes, mais aux poignées de main tout aussi douloureuses !


Crabe vert d'environ 5 cm d'envergure

Le plus commun de tous  ces crustacés grouillants est le Crabe vert : Carcinus maenas. C'est un gros crabe vert, brun ou rouge, reconnaissable à sa carapace en forme de pentagone, ornée de chaque côté de cinq dents relativement obtuses derrière les yeux, et de trois dents distinctes au milieu.


Crabe vert sur un tapis de moules, au fond d'une flaque salée (7 ou 8 cm d'envergure)

Si les plus jeunes individus peuvent se rencontrer dans le sable, où ils sont capables de s'enfouir, les plus gros et les plus vieux fréquentent essentiellement les rochers dont les anfractuosités leur permettent de se dissimuler et où les cuvettes de marée basse leur offrent d'excellents terrains de chasse. Nous avons d'ailleurs pu admirer leurs exploits carnassiers dans l'épisode précédent.


Crabe vert... rouge, de taille respectable (plus de 12 cm d'envergure) observé sur l'île de Ré

Et voici la fameuse pince ! Il s'agit en réalité de l'articulation entre le dernier et l'avant-dernier segment de la première paire de pattes : le dernier segment, crénelé et particulièrement épais, vient ainsi se rabattre contre une excroissante de forme similaire prolongeant l'avant-dernier segment. On obtient un outil bien commode pour pincer les baigneurs imprudents, mais surtout assez puissant pour arracher les patelles de leur substrat, et donc idéal pour ce gros dévoreur de coquillages qu'est le Crabe vert.

 

Crabe vert apeuré (plus de 12 cm d'envergure) observé sur l'île d'Oléron

Le Crabe vert est aussi appelé Crabe enragé en raison de son comportement défensif qui consiste, lorsqu'il n'a plus aucune crevasse où se réfugier, à faire front en écartant les pattes et en ouvrant en grand les pinces - exactement comme un lucane avec ses mandibules.
Comme bien d'autres, le Crabe vert a sa variante méditerranéenne : Carcinus aestuarii, à peu près identique. Ces deux espèces sont invasives sur les côtes du monde entier, où elles ont été introduites accidentellement : Etats-Unis est et ouest, Afrique de l'ouest et Australie pour la première, Mer Rouge et Japon pour la seconde.


Ci-dessus : reconstitution d'une étrille d'après un cadavre rejeté par la marée.
Ci-contre : détail de la dernière paire de pattes dudit cadavre.

Appartenant à la même famille que le Crabe vert, les Portunidés, l'Etrille (Polybius puber) s'en distingue par des contours plus acérés, des couleurs plus vives, des pinces plus aigües et une dernière paire de pattes très applatie qu'elle utilise pour la nage. En effet, vous ne rencontrerez pas ce crabe vivant sur l'estran, au mieux des spécimens morts au milieu des laisses de mer, mais dans les eaux côtières peu profondes, si vous faites de la plongée.

mercredi 18 janvier 2012

Hiver indécis

 « Il n’y a plus de saison ma bonne dame ! »
Cette remarque anodine, omniprésente dans les conversation stéréotypées du quatrième âge, prend une toute autre signification en des temps troublés comme ceux que nous connaissons. En vérité je vous le dis, il y a encore des saisons, mais elles n’ont plus la belle rectitude d’antan, quand chacune d’entre elle suivait la précédente après une courte période d’incertitude. Nous connaissions les étés indiens et les gelées tardives, mais rien n’aurait pu nous préparer à ce que nous sommes en train de vivre : l’abandon pur et simple d’une des composante du mythique quatuor Printemps-Eté-Automne-Hiver. Le dernier cité se comporte pour le moment d’une drôle de manière, baignades en Octobre, bronzette en Novembre, pas de neige, un froid très modéré et il y a encore une semaine nous prenions le soleil dehors en chemise. Alors, serais-ce la fin des Hiver ? Pas si sûr. Le bougre semble depuis quelques jours reprendre du poil de la bête et nous envoi de ses nouvelles sous des formes plutôt originales et souvent magnifique. Petit tout d’horizon du Maître des Flocons.


 Deux milans royaux ont perdu en majesté et gagné en mystère, tout enveloppés de brume.

 Vu à travers une fine plaque de glace, un paysage peut s'avérer beaucoup plus chaotique qu'il n'y parait au premier abord.

Frôlant l'eau courante de leur ramilles, nombre de branches se retrouvent prisonnières d'un carcan de glace, prison transparente aux milles facettes luisantes d'un éclat humide dans la froide lumière d'un soleil de Janvier.

La surface de l'eau, sitôt gelée, s'orne d'une infinité de motifs grandioses. Des lignes apparaissent, traçant de cours chemin luisants, des bulles se figent dans une remontée inachevée, l'air d'attendre un printemps qui les fera renaître. Branches et tronc se voient entouré du plus bel écrin qui soit, lisse et cassant, miroir du ciel, vitre sur les abysses.

Mais que cette rigidité de surface ne vous fasse pas oublier que cet élément si régulier n'a qu'un temps. Il suffit d'un degré de plus, quelques particules un peu plus excitées que d'autres, un caillou et l'on voit devant soit se briser l'image d'un paysage. L'espace d'une seconde on verra l'espace se refléter à l'infini dans chaque gouttelette pour finalement retomber, s'aplanir et ne plus former qu'une seule et même image, reflet de ce monde figé le temps d'une saison.